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Textes, archives, découvertes, articles de presses

La révolte de Civilis

TACITE, Histoires, IV, 13-15


La révolte de Civilis - Le début du conflit


4,13] XIII.  Julius Paulus et Claudius Civilis, issus d'un sang royal, surpassaient en illustration
tous les autres Bataves. Paulus, accusé faussement de révolte, fut tué par Fontéius Capito.
Civilis fut chargé de chaînes et envoyé à Néron ; absous par Galba, il courut un nouveau
danger sous Vitellius, dont l'armée demandait sa mort. Telle fut la cause de ses
ressentiments : son espoir vint de nos malheurs. Civilis, plus rusé que le commun des
barbares, et qui se comparait aux Annibal et aux Sertorius, parce qu'il portait au visage la
même cicatrice, ne voulut pas attirer sur lui les forces romaines par une rébellion déclarée. Il feignit d'être ami de Vespasien et de prendre parti dans nos querelles. Il est vrai qu'Antonius Primus lui avait écrit de détourner par une fausse alarme les secours que
mandait Vitellius, et de retenir nos légions en les menaçant des Germains. Hordéonius
Flaccus lui avait donné de vive voix le même avis, par inclination pour Vespasien et par
intérêt pour la république, dont la ruine était inévitable si la guerre se renouvelait, et que
tant de milliers d'hommes armés inondassent l'Italie.


4,14] XIV.  Quand sa révolte fut décidée, Civilis, tout en cachant des vues plus profondes, et résolu d'accommoder ses plans à la fortune, commença de la sorte à remuer l'ordre établi. Vitellius avait ordonné des levées parmi les Bataves. Cette charge, déjà pesante en elle-même, était aggravée par l'avarice et la débauche des agents du pouvoir ; ils enrôlaient des vieillards et des infirmes, pour en tirer une rançon et les renvoyer. Dans ce pays les enfants sont généralement de haute taille ; ils enlevaient les plus beaux pour d'infâmes plaisirs. Les esprits se soulevèrent, et des hommes apostés pour souffler la révolte persuadèrent au peuple de se refuser aux levées. Civilis, sous prétexte de donner un festin, réunit dans un bois sacré les principaux de la nation et les plus audacieux de la multitude. Quand la nuit et la joie eurent échauffé les imaginations, il commença par célébrer la gloire de la patrie ; puis il énumère les injustices, les enlèvements, et tous les maux de la servitude. "Ce n'est plus comme autrefois en alliés qu'on les traite, mais en esclaves. Quand le général, avec sa suite écrasante et ses durs commandements, daigne-t-il même les visiter ? On les abandonne à des préfets, à des centurions, qu'on change quand ils sont rassasiés de leur sang et de leurs dépouilles ; et alors il faut de nouvelles proies ; le brigandage recommence sous mille noms divers. Voici venir maintenant le recrutement, qui arrache, comme par une dernière séparation, les enfants à leurs parents, les frères à leurs frères. Cependant la puissance romaine ne fut jamais plus abattue ; les camps ne renferment que du butin et des vieillards. Que les Bataves lèvent seulement les yeux et ne tremblent pas au vain nom de légions
imaginaires ; ils sont forts en infanterie, forts en cavalerie ; les Germains sont leurs frères ; les Gaules partagent leurs voeux Rome même verra cette guerre sans déplaisir. Si la fortune  balance, l'intérêt de Vespasien sera leur excuse ; pour la victoire, elle ne doit de compte à personne."

 

4,15] XV.  Après ce discours, qui fut reçu avec enthousiasme, Civilis lia tous les convives par les imprécations en usage parmi ces barbares. Il envoya vers les Canninéfates pour les
associer à l'entreprise. Cette nation habite une partie de l'île : origine, langue, valeur, elle a tout des Bataves, excepté le nombre. Il gagna ensuite par des émissaires secrets les
auxiliaires de Bretagne, ces cohortes bataves que nous avons vues partir pour la Germanie,
et qui alors se trouvaient à Mayence. Il y avait chez les Canninéfates un homme appelé Brinnon, d'une audace brutale, d'une naissance éclatante. Son père, plus d'une fois rebelle,
avait impunément bravé les ridicules expéditions de Caïus. Le nom d'une famille signalée
par la révolte fut un titre pour Brinnon : placé sur un bouclier, suivant l'usage du pays, et
balancé sur les épaules de ses compagnons, il est proclamé chef ; aussitôt il appelle à son
aide les Frisons, nation transrhénane, et se jette sur un camp de deux cohortes voisin de
l'Océan et le plus à portée de son invasion. Les soldats n'avaient pas prévu cette attaque ; et, l'eussent-ils prévue, ils n'étaient pas en force pour la repousser. Le camp fut pris et pillé ; l'ennemi tombe ensuite sur les vivandiers et les marchands romains, épars çà et là dans toute la sécurité de la paix. Il menaçait de détruire tous nos postes ; les préfets de cohortes y mirent le feu, ne pouvant les défendre. Les drapeaux, les étendards, et tout ce qu'il y avait de troupes, furent réunis dans la partie supérieure de l'île, sous le commandement du primipilaire Aquilins : assemblage qui avait plutôt le nom que la force d'une armée. Vitellius avait enlevé l'élite et le nerf des cohortes, et, ramassant dans les bourgades voisines une foule confuse de Nerviens et de Germains, il avait chargé d'armes ces simulacres de soldats.

 

Traduction française J. L. Burnouf (1859)

 

 

La Conspiration de Julius Civilis : le tableau géant de Rembrandt

259.jpg Rembrandt a peint sur le thème de la conspiration de Civilis son plus grand tableau (500 x 500 à l’origine) : “La Conspiration de Claudius Civilis”, aujourd’hui présenté au Nationalmuseum de Stockholm (Suède).

 

L’œuvre est une commande des magistrats municipaux d’Amsterdam. Initialement (1659) prévue pour un cycle de douze peintures tirées de la Bible, de l’histoire romaine (Horatius Coclès) et illustrant la révolte batave, cette commande échut à Govert Teuniszoon Flinck (1615-1660). La série était destinée à orner le nouvel Hôtel de Ville, achevé en 1655 (aujourd’hui « Paleis op de Dam », le Palais Royal). Le décès de Flinck avant l’achèvement de la série fit passer la commande à un groupe de peintres, dont Jacob Jordaens (1593 – 1678) (overrompeling der romeinen et vrede tusschen civilis en cerealis), Jan Lievens (1607- 1674) (Brinio op het schild geheven), dont les œuvres sont toujours en place, et Rembrandt Harmenszoon van Rijn (1606-1669), chargé de réaliser l’illustration, d’après Tacite, de la conjuration des bataves (Historiae, IV, 14).

Pour situer l’action, Rembrandt a renoncé au bois sacré, lieu de la conspiration selon Tacite (Historiae, IV, 14). Une esquisse ou copie de l’œuvre dans son état original semble montrer qu’il a inscrit la scène dans une architecture monumentale de portiques, investie cependant d’une valeur sacrée. Les Bataves prêtent serments sur leurs épées. Ce détail, parmi d’autres, peut être lu comme une référence directe à des textes antiques, tout en s’écartant du corpus tacitéen. Le decorum n’appartient pas à la panoplie antiquisante empruntée à la sculpture antique devenue habituelle à la fin du XVIIe. Les costumes sont neutres, ou même teintés d’une nuance biblique et orientale. La scène est dominée par la figure écrasante d’un Civilis d’une taille surhumaine, à la fois borgne et royal, porteur d’une tiare ou d’une couronne. L’ensemble a quelque chose d’une cène plus que de la ripaille décrite par Tacite : la coupe, identifiable à un objet liturgique, une patère, la table porteuse de la lumière. Pour les calvinistes, la cène et son calice ne sont pas le miracle de la transubstantiation, mais un rite d’alliance (lat. foedus, néerl. bont/verbont , ang. covenant) renvoyant au XVIIe siècle à un vocabulaire politique. Il est parfois avancé que la composition de Rembrandt reprend la Disputa de Raphael, représentant les Pères de l’Eglise.

 

Source : Insula, le blog de la bibliothèque des sciences de l'Antiquité (Lille 3) [article en intégralité ici]

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