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Les païens aux chrétiens : Vous êtes des hors-la-loi
Dans sa lettre à Trajan, Pline se demande si l’on doit punir en tant que tel « le nom de chrétiens ». Mais, jusqu’au moment où il a « suspendu » les instructions contre les chrétiens « pour recourir à l’avis (de l’empereur) », il n’a pas été inactif. Voici son rapport sur les mesures qu’il a cru de voir prendre.
« En attendant, voici la règle que j’ai suivie envers ceux qui m’étaient déférés comme chrétiens. Je leur ai demandé à eux-mêmes s’ils étaient chrétiens. À ceux qui avouaient, je l’ai demandé une seconde et une troisième fois en les menaçant de supplice ; ceux qui persévéraient, je les ai fait exécuter : quoi que signifiât leur aveu, j’étais sûr qu’il fallait punir du moins cet entêtement et cette obstination inflexibles. D’autres, possédés de la même folie, je les ai, en tant que citoyen Romain, notés pour être envoyés à Rome... Ceux qui niaient être chrétien ou l’avoir été, s’ils invoquaient les dieux selon la formule que je leur dictais et sacrifiaient par l’encens et le vin devant ton image que j’avais fait apporter à cette intention avec les statuts des divinités, si, en outre, il blasphèmeaient le Christ - toutes choses qu’il est, dit-on, impossible d’obtenir de ceux qui sont vraiment chrétiens -j’ai pensé qu’il fallait les relâcher. (Lettre X, 96, 2-5)
A noter la prudente incise de Pline : « quoi que signifiât leur aveu ». Sa manière d’agir n’entendait nullement préjuger de la solution « au fond ». Mais elle avait de mobiles. Le premier, d’ordre rationnel : il faut absolument empêcher qu’un vent de « folie » souffle sur l’Empire et il est une « obstination » que le pouvoir ne saurait tolérer. Quant au second mobile, il venait d’un souci d’efficacité : enrayon le mal pendant qu’il est encore temps.
... « J’ai suspendu l’information pour recourir à ton avis. L’affaire m’a paru mériter que je prenne ton avis, surtout à cause du nombre des accusés. Il y a une foule de personnes de tout âge, de toutes conditions, des deux sexes aussi, qui sont ou seront mises en péril. Ce n’est pas seulement à travers les villes, mais aussi à travers les villages et les campagnes que s’est répandue la contagion de cette superstition ; je crois pourtant qu’il est possible de l’enrayer et de la guérir ». (Lettre X, 96,9)
Cependant, plus puissant encore que les mobiles invoqués par tel gouverneur, il y a une question de principe qui n’a pas plus à être justifié que la raison d’État et ramène tous les préalables aux problèmes d’identité. On n’a pas le droit de se nommer chrétien parce qu’on n’a pas le droit d’être chrétien. Tout chrétien est donc passible d’être poursuivi dans la mesure où il est celui qui se nomme chrétien pour se définir.
Les chrétiens aux païens : Seuls nos actes nous jugent
Tertullien : vous nous interdisez pratiquement d’« exister ».
« Et d’abord, quand vous posez, en vertu de la loi, ce principe : « il n’est pas permis que vous existiez », et que vous nous proposez cette fin de non-recevoir sans aucune considération d’humanité, vous faites profession de violence et d’une domination inique, comme un tyran qui commande du haut de sa citadelle, si du moins vous prétendait que cela ne nous est pas permis par ce que telle est votre bon plaisir, et non pas parce qu’en effet cela ne devait pas être permis ». (« Apologétique » IV, 4)
La procédure d’exception appliquée contre nous contredit la juridiction romaine.
… « S’il est certain que nous sommes de grands criminels, pourquoi sommes-nous traités autrement par vous-même que nos pareils , c’est-à-dire que les autres criminels ? En effet, si le crime est le même, le traitement devrait être aussi le même. Quand d’autres sont accusés de tous ces crimes dont on nous accuse, ils peuvent, et part en même et par une bouche mercenaire, prouver leur innocence ; ils ont toute liberté de répondre, de répliquer, puisqu’il n’a jamais permis de condamner un accusé sans qu’il se soit défendu, sans qu’il ait été entendu. Aux chrétiens seuls, on ne permet pas de dire ce qui est de nature à réfuter l’accusation, à soutenir la vérité, à empêcher le juge d’être injuste ; on attend qu’une chose, celle qui est nécessaire à la scène publique : l’aveu de leur nom, et non une enquête sur leur crime. » (« Apologétique » II, 1-3)
Vous préjugez de nos « crimes » au lieu de les prouver.
… « Voici un autre point où vous ne nous traitez pas non plus d’après les formes de la procédure criminelle : quand les autres accusés nient, vous leur appliquez la torture pour les faire avouer ; aux chrétiens seuls vous l’appliquez pour les faire nier. Et pourtant, s’il y avait crime, nous nierions et vous auriez recours à la torture pour nous forcer d’avouer. Et en effet, ne dites pas que vous croiriez inutile de rechercher par la torture les crimes des chrétiens, par ce que l’aveu du nom de chrétiens vous donnerait la certitude que ces crimes sont commis : car vous-même, chaque jour, si un meurtrier avoue, bien que vous sachiez ce que c’est que l’homicide, vous lui arrachez par la torture les circonstances de son crime. Et puisque vous présumez nos crimes par l’aveu de notre nom que, il est doublement contraire aux règles de la justice de nous forcer par la torture à rétracter notre aveu ; car avec notre nom vous nous faites nier, sans aucun doute, tous les crimes que l’aveu du nom vous avait fait présumer. » (« Apologétique » II, 10-11)
Justin : Il faut nous juger sur nos actes.
« Mais, dira-t-on, des chrétiens ont été arrêtés et convaincus de crime. Sans doute, lorsque vous examinez la conduite des accusés, il vous arrive souvent dans condamner beaucoup, mais non pas parce que d’autres ont été cités avant eux. Voici un fait général que nous reconnaissons : de même que chez les Grecs, tout le monde appelle communément philosophe ceux qui exposent des doctrines qui leur plaisent, quelque contradictoires qu’elles puissent être, ainsi, chez les barbares, ceux qui sont ou passent pour sages ont reçu une dénomination commune : on les appelle tous chrétiens. Si donc on les accuse devant vous, nous demandons qu’on examine leur conduite et que celui qui sera convaincu soit condamné comme coupable, mais non pas comme chrétiens : si quelqu’un est reconnu innocent, qu’il soit absous comme chrétien, puisqu’il n’est en rien coupable. Nous ne vous demandons pas de sévir contre nos accusateurs : ils sont suffisamment punis par la conscience de leur perfidie et de leur ignorance du bien ». (« Première Apologie », 7)
Tertullien : Et si vous parveniez à nous arracher un reniement plus ou moins sincère de notre foi, qu'y gagneriez-vous ?
« Pas un juge ne désire acquitter le criminel qui avoue (…). C’est aussi pourquoi on ne contraint personne de nier. Un chrétien, tu le crois coupable de tous les crimes, ennemi des dieux, des empereurs, des lois, des mœurs, de la nature entière, et tu le forces de nier, pour l’acquitter, ne pouvant l’acquitter que s’il nie. Tu trahis les lois ! Tu veux qu’il nie son crime, pour le rendre innocent, et cela malgré lui, et voilà son passé même pur de tout crime ! D’où vient cet étrange aveuglement qui fait que vous réfléchissez même pas qu’il faut plutôt croire un accusé qui avoue spontanément que celui qui nie par force ; et que vous ne vous demandez pas si, contraint de nier, il ne nie pas sans sincérité et si, absous, à l’instant même, après avoir quitté le tribunal, il ne rira pas de votre haine, chrétien comme devant ? (« Apologétique » II, 16-17)
Un illogisme criant
« Si vous faites une enquête sur quelque criminelle, il a beau s’avouer homicide, ou sacrilège, ou inceste, ou ennemi public -pour ne parler que des crimes dont nous sommes les inculpés -cet aveu ne vous suffit pas pour prononcer aussitôt… Avec nous, rien de semblable, et pourtant il faudrait également nous arracher par la torture l’aveu de ses crimes qu’on nous impute faussement : de combien d’infanticide chacun a déjà goûté, combien d’inceste il a commis à la faveur des ténèbres ; quels cuisiniers, quels chiens ont assisté. Quelle gloire pour un gouverneur, s’il déterrait un chrétien qui aurait déjà coûté de cent petits enfants ! » Tertullien « Apologétique » II 4-5
Source : 2 000 ans de christianisme, éd. Livre de Paris Hachette