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Le 10 janvier dernier, l’historien Jacques Heers est décédé à Angers. Il nous a laissé une œuvre tout à fait considérable.
Né en 1924 Jacques Heers était issu, comme c’était fréquemment le cas à l’époque pour certains de nos universitaires les plus brillants, d’une famille de petits commerçants. Il était le fruit de cette école publique dont on sait ce qu’ont été ses performances. Initialement, comme c’est souvent le cas, il s’était destiné à la carrière d’instituteur ; puis une licence d’histoire a suivi, puis l’agrégation, puis un doctorat consacré à Gênes ou XVe siècle sous la direction de Fernand Braudel ; il fut ensuite assistant de Georges Duby à Aix-en-Provence, puis professeur de faculté à Alger jusqu’à la fin de l’Algérie française en 1962. On le retrouvera professeur à Caen, puis à Nanterre, puis enfin à la Sorbonne où il finira directeur des études médiévales.
Il avait entamé ses recherches sous l’auspice de l’Ecole des Annales, qui privilégiait l’histoire économique et sociale, la longue durée, qui se défiait « de l’événement », mais avec le temps il avait clairement prit ses distances avec cette vision des choses et il avait redécouvert la voie d’une histoire beaucoup plus complète.
Jacques Heers a laissé un certain nombre d’ouvrages qui ont marqué des générations d’étudiants, comme son Précis d’histoire du Moyen Âge, aux Presses Universitaires de France, L’Occident aux XIV et XV siècles, aspects économiques et sociaux, dans la prestigieuse collection Nouvelle Clio des PUF, ensuite il s’est intéressé à l’histoire des villes, à la vie urbaine au Moyen Âge, notamment dans l’espace de la chrétienté méditerranéenne. Ces quinze dernières années, retraitées, il s’est intéressé aux croisades, avec un livre sur la première croisade, un autre livre sur la quatrième croisade et le sac de Constantinople. Il s'est orienter ensuite vers des biographies, en revenant vers ces XIVè et XVè siècles qui étaient sa spécialité de départ, notamment avec des biographies de Louis XI et de Jacques Coeur.
Mais au-delà de ces travaux ponctuels, Jacques Heers a posé la question des rapports entre la mémoire et l’Histoire, pour bien faire la part des choses entre l’une et l’autre, il a déconstruit les mensonges et les préjugés qui ont longtemps accompagné l’enseignement de notre discipline en France, il a notamment remis totalement en cause la vision faite d’idées reçues assez grossières concernant le Moyen Âge assimilé régulièrement à une époque obscurantiste alors que nous le savons, elle correspond à une période d’éveil de l’Occident européen appelé à une ascension continue jusqu’au tragique XXe siècle. Il a enfin donné il y a peu une Histoire des Guerres d’Italie, aux éditions Via Romana, tout à fait originale qui vaut par la nouveauté des perspectives retenues notamment dans la durée, puisqu’il fait commencer ces Guerres d’Italie concernant la France, à juste titre d’ailleurs, avec la politique et des Angevins dans le royaume de Naples.
Indépendamment de son œuvre historique, Jacques Heers, et c’est ce que nous retiendrons aussi, fut un professeur courageux dans les conditions difficiles qui furent celles de la faculté de Nanterre à l’époque du grand carnaval soixante huitard, il a toujours témoigné d’une très grande indépendance d’esprit.
La recherche et l’université françaises ont perdu un historien de premier ordre.