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Nous sommes ici en présence de formes de propagande élaborées, diverses selon les régimes, et présentant un caractère relativement nouveau : le génie romain tendait à donner une forme institutionnelle à tous les éléments de la vie collective. Dès lors, la propagande ne sera pas seulement à Rome un facteur de l'activité politique, mais elle s'appuiera sur des organisations, réciproquement l'organisation fonctionne en partie grâce à la propagande, et, finalement les moyens de propagande utilisés sont fréquemment des moyens d'ordre juridique.
1. La propagande orientée vers l'étranger pendant la période républicaine.
Elle tend à faciliter la pénétration de l'influence romaine chez les peuples voisins. La propagande a pour but, de créer chez ces peuples la conviction de la supériorité de Rome. Par suite de cette conviction, ces peuples finiront par demander eux-mêmes l'intégration dans le système romain, qui sera à leurs yeux une sorte de consécration. Le premier système qui paraît dans cette orientation est celui des fédérations, qui est un excellent support de propagande en ce que les cités restent indépendantes, gardent une autonomie intérieure. Par une politique habile, beaucoup de cités vaincues sont, non pas opprimées, mais intégrées dans une des fédérations. De plus Rome par ce système tend à détacher les peuples italiens les uns des autres pour établir un lien exclusif entre chacun des peuples, et elle-même. Rome conclut alors près de 150 traités de qualité différente. L'union se situe habituellement sur le plan militaire et exige une forte propagande nationale. Chaque cité fournit à Rome un contingent militaire. Et réciproquement Rome se rend peu à peu indispensable dans la vie intérieure de ces cités, sur le plan politique ou économique. Enfin Rome crée un droit commun entre tous les Italiens.
Un autre système d'action psychologique fut la création des colonies, très différentes des colonies grecques. Nous trouvons très fortement accentué ici le rapport entre l'élément institutionnel et l'élément psychologique: la colonie n'est pas en effet seulement un moyen de surveillance militaire, de peuplement, ou de solution de la crise sociale à Rome; il s'agit par cette création d'une sorte de cité romaine au milieu d'un peuple étranger de montrer clairement aux peuples intégrés, la supériorité de l'organisation, de l'administration romaine de façon à-tenter les peuples pour qu'ils demandent l'obtention des mêmes avantages. Or, les populations voisines dela colonie reçoivent des statuts différents selon les cas, plus ou moins privilégiés, de façon à créer une volonté de se faire bien voir des Romains.
Et ceci introduit un système d'émulation employé par les Romains chez les peuples soumis par toute une gradation de statuts juridiques et politiques: ce qui compte c'est le statut attribué par Rome comportant des éléments politiques, mais aussi une certaine fixation dans l'échelle sociale. Or ce statut est individuel, et il peut changer selon la décision prise par les autorités romaines. La hiérarchie de citoyens, Latins anciens, Latins juniens, Italiens, coloniaires, fédérés, pérégrina est encore diversifiée par le fait qu'il y avait des distinctions entre les cités, les unes ayant le jus migrandi, d'autres le conubiumou le commercium, d'autres n'ayant aucun droit. Dans un sens, on pouvait dire alors que les habitants étaient plus attachés à Rome qu'à leur propre patrie, et attendaient de Rome la décision qui allait leur permettre de participer à une catégorie supérieure.
Tout ceci peut n'apparaître que comme une habile politique, et de fait c'est le plus souvent ainsi qu'on le présente, mais ce que cette politique a de particulier, c'est qu'elle tend à jouer sur les sentiments, et à obtenir d'une adhésion intérieure ce que Rome n'aurait sûrement jamais obtenu par la force pure. Il s'agissait de provoquer l'émulation, la fidélité, le dévouement, l'orgueil d'être dans un système si grandiose. Autrement dit, c'est bien de l'ordre de la propagande puisque le lien recherché est d'abord psychologique, mais obtenu par des moyens institutionnels.
Source : Histoire de la propagande, Jacques Ellul éd. Presse Universitaire de France