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Au cours du IIIè siècle, les attaques répétées des peuples « barbares » fragilisent les frontières romaines. Les empereurs successifs s’engagent alors dans des réformes administratives, militaires et financières qui modifient en profondeur la carte de l’Empire
Dès la fin du IIIè siècle, l’Empire romain doit faire face à la pression constante des peuples « barbares » notamment d’origine germanique, sur les frontières occidentales, le Rhin et le Danube. Pour répondre plus rapidement à la menace, le pouvoir impérial se divise jusqu’à la création par Dioclétien d’un régime original, mais peu viable en raison de sa complexité, la Tétrarchie, qui le répartit simultanément entre quatre empereurs. C’est Constantin qui, par sa victoire à Andrinople sur son dernier rival Licinius en 324, rassemble de nouveau la totalité du pouvoir entre ses mains, en Orient comme en Occident.
Résidences impériales et nouvelles capitales
Cet empire est avant toute une civilisation urbaine et les villes qui ont toujours joué un rôle essentiel. Les mutations politiques de la fin de l’Antiquité ne peuvent donc manquer d’avoir des répercussions notables en ce domaine. L’archéologie comme les textes antiques nous informent sur ces transformations : plusieurs auteurs, au IVème et au Vème siècle, ont dressé le catalogue des villes remarquables. Ainsi, l’Ordo urbium nobilium du poèteAusone, ou encore un texte anonyme, l’Expositio totius mundi et gentium, les classent par importance. Les images elles-mêmes reflètent cet intérêt des contemporains : le Calendrier de 354, un manuscrit illustré connu seulement par des copies plus récentes, s’ouvre par quatre personnifications de ville, Rome, Constantinople, Trèves et Alexandrie ou Carthage. La répartition globale des villes n’évolue guère tout au long de cette période : aucune disparaît, et le IVème siècle n’est pas, comme on l’a parfois pensé pour la plupart d’entre elles, un temps de décadence. En revanche, bien peu se créent : il faut attendre le VIème siècle, soit nettement plus tard, pour trouver un exemple de fondation de ville ex nihilo, celle de Justiniana Prima, aujourd’hui Caricin Grad en Serbie, sur le lieu de naissance de l’empereur Justinien. Toutefois il est certain que les invasions « barbares » ont eu des conséquences désastreuses sur bien des villes, en Gaule notamment.
De fait, quelques très grandes villes vont jouer un rôle marquant dans l’histoire et la culture de l’Antiquité tardive et dans l’imaginaire des contemporains. Bien sûr, Rome revêtus d’une très forte valeur symbolique et dont le caractère éternel est volontiers réaffirmé sur les monnaies (Roma aeterna) : sa prise par les Goths d’Alaric, en 410, va bouleverser tous les observateurs et semblera à beaucoup annonciatrice de la fin de l’univers. Mais également Constantinople, la nouvelle capitale fondée en 330 qui ne jouit pas encore d’un grand prestige au IVème siècle, Alexandrie en Égypte et Antioche en Syrie, de grandes métropoles, centre d’effervescence intellectuelle et religieuse, Carthage en Afrique, bilan et Trèves, puis Ravenne ou Arles, en Gaule.
Le nombre considérable d’empereur propre au régime de la Tétrarchie et les fréquents déplacements des souverains entraînent la multiplication des résidences impériales, parfois temporaire, parfois pérenne : Rome, trop loin des frontières, n’a plus guère de rôle politique. Au IVème siècle, elle se trouve remplacée par Milan, situé, elle, à un carrefour de voies stratégiques. L’empereur y réside de manière presque permanente et la cour s’y installe, avec tout ce que cela implique : construction de résidences pour ses membres, présence d’une foule nombreuse de serviteurs et de soldats, développement d’un artisanat de luxe telle l’orfèvrerie et le travail de l’ivoire pour satisfaire la riche clientèle qui gravite autour de l’empereur. Une résidence impériale comprend la plupart du temps un palais, accompagné parfois d’un hippodrome destiné aux courses de chevaux, ce type de spectacle étant l’occasion d’un contact privilégié entre l’empereur et ses sujets. Il en est ainsi à Milan, à Sirmium (Serbie), à Thessalonique, à Constantinople ou à Antioche.
Urbanisme et édifices de l’Antiquité tardive
Toutes ces villes, les plus grandes comme celle de moindre importance, possède des éristiques communes, fixée déjà sous le Haut-Empire. Urbanisme est souvent régulier, en Orient notamment ou de Grande rue à portiques, langue parfois de plusieurs kilomètres et larges de plusieurs dizaines de mètres, en constituent les axes principaux. S’y ajoutent des monuments publics imposants, termes, théâtre, hippodrome, ainsi que de grandes demeures pour les plus riches. En outre, à partir du règne de Constantin et de la Paix de l’Église, Séville se couvrent d’églises monumentales, bâties sous l’impulsion de l’empereur ou d’évêques entreprenants, et somptueusement décoré. Beaucoup d’entre elles abritent des reliques vénérées : la tombe de l’apôtre Pierre à Rome, la tunique du Christ à Trèves, un fragment de la Sainte-Croix à Apamée. Progressivement, la nouvelle religion marque le paysage urbain alors que les temples désaffectés, deviennent de véritables musées ou sont purement et simplement détruits par des chrétiens : c’est le cas du grand temple aura Kugler de Zeus Belos à Apamée, rasée jusqu’aux fondations à l’instigation de l’évêque Marcel vers la fin du IVème siècle. Ce mouvement de ne s’opère que peu à peu, selon les rapports de force qui s’instaurent entre les diverses communautés selon les espaces urbains disponibles.
Identité des villes antiques
De nombreuses villes, parmi les plus grandes, possèdent une physionomie spécifique, fruit à la fois d’une longue évolution et de la puissance des traditions locales. En Orient, elles manifestent un fort esprit d’indépendance, héritage des cités hellénistiques : très attachés à leur vie civique, constituées de communautés d’origines ethniques ou religieuses très diverses elles sont souvent secouées de mouvements de foule parfois violent, qui peuvent même être dirigés contre le pouvoir impérial. Alexandrie et Antioche sont sur ce plan remarquable. Tandis que la première est un creuset de mouvements religieux souvent antagonistes, la seconde est animée par une vie intellectuelle intense, longtemps attachés aux traditions du paganisme, notamment le culte oraculaire d’Apollon installé dans le faubourg de Daphné : les textes, très vivant, du rhéteur Libanios donnent une idée assez juste de la vie à la fin du IVème siècle dans cette ville représentée en outre par une pittoresque reconstitution en mosaïque. Le panorama est différent, plus uniforme, en Occident ou de telle tradition n’existe pas. Cependant, la lecture de textes comme l’Expositio totius mundi et gentium, qui prend bien soin de caractériser chaque ville par une spécialité, montre qu’il existait encore, à la fin de l’Antiquité, un sentiment partagé de la particularité de chacune.
Des capitales éphémères
La situation de ces villes évolue, tout au long de la période considérée, en fonction de celle de l’empire. Citons deux exemples. À la fin du IIIème siècle, Trèves, dans la vallée de la Moselle, revêt une importance particulière. Constance Chlore, le père de Constantin, il y a établi sa résidence. Constantin lui-même y possédera pendant longtemps un palais dont il reste aujourd’hui la grande salle d’audience, l’un des monuments de l’Antiquité tardive à l’état de conservation le plus impressionnant. La ville est également le siège d’une des préfectures du prétoire, et elle accueille un important évêché. Mais après la fondation de Constantinople, l’empereur abandonne la ville. Quelque temps après, vers la fin du IVème siècle, devant la menace que les peuples germaniques font peser sur la frontière du Rhin, la préfecture du prétoire et déplacé à Arles qui connaît alors un développement remarquable.
Milan présent un destin analogue : la ville accueille l’empereur d’Occident et sa cour durant une partie du IVème siècle, mais, situé dans la plaine du Pô, au débouché des cols alpestres elle s’avère difficile à défendre. C’est la raison pour laquelle, en quatre cent deux, l’empereur Honorius décide de transférer le siège du pouvoir sur la côte de l’Adriatique, a Ravenne, une ville provinciale jusque-là plutôt endormie, mais dont la situation au milieu des marécages constituant une défense naturelle permet de rejoindre aisément Constantinople.
À la fin du IVème siècle, la plupart des grandes villes de l’empire ont encore un poids considérable. Mais en raison de leur état politique et militaire, la situation se dégrade alors pour beaucoup d’entre elles, en Occident notamment en Orient, si les débuts de la période byzantine constituent un moment favorable, les guerres contre l’empire sassanide, puis les invasions arabes dès la fin du VIème siècle marque néanmoins un tournant difficile dans l’histoire des villes romaines, et plus généralement dans l’histoire du monde méditerranéen.
Source : Et Lutèce devint Paris... éd. Paris-musées